La langue usuelle a pour fonction primaire, en effet, de décrire les processus spatio-temporels qui nous entourent, processus dont la topologie transparaît dans la syntaxe des phrases qui les décrivent [1]. Dans la géométrie euclidienne, on a affaire à la même fonction du langage, mais cette fois le groupe d'équivalences jouant sur les figures est un groupe de Lie, le groupe métrique, par opposition aux groupes d'invariance plus topologique des " Gestalten " qui nous permettent de reconnaître les objets du monde extérieur décrits par un nom du langage usuel. En cela, la géométrie est un intermédiaire naturel, et peut-être irremplaçable, entre la langue usuelle, et le langage formalisé des mathématiques, langage dont l'objet se réduit au symbole, et le groupe d'équivalences à l'identité du symbole écrit avec lui-même. De ce point de vue, le stade de la pensée géométrique est peut-être un stade impossible à omettre dans le développement normal de l'activité rationnelle de l'homme. On a beaucoup trop insisté, depuis cinquante ans, sur la reconstruction du continu géométrique à partir des entiers naturels (par la théorie des coupures de Dedekind ou la complétion du corps des rationnels). Sous l'influence de traditions axiomatiques et livresques, on a vu dans le discontinu l'être premier des mathématiques. " Dieu créa les nombres entiers, et le reste est l'oeuvre de l'homme. " Cette maxime de l'algébriste Kronecker témoigne plus de son passé de banquier enrichi dans les manipulations monétaires que de sa clairvoyance philosophique. Il ne fait guère de doute que d'un point de vue psychologique (et pour moi, ontologique), le continu géométrique est l'être premier. René THOM in Les mathématiques modernes |
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